Gueules de moucheurs ?
La pêche à la mouche, ce sont des poissons, des mouches, un peu de matos et … des hommes et femmes. J’ai tenu par une nouvelle rubrique “Gueules de moucheurs” à donner la parole à des moucheurs (et moucheuses j’espère), passionnés comme nous le sommes tous très souvent, monomaniaques, amoureux de nos rivières, de nos partenaires les truites, de nos mouches, et de nos compagnes qui supportent tout ça. Pour inaugurer cette nouvelle rubrique “Gueule de moucheur”, j’ai sollicité Pierre MONATTE, organisateur du festival de films de pêche à la mouche Rise. Rise est le premier rendez-vous “mouche” de l’année pour pas mal de moucheurs. Il réveille nos neurones halieutiques endormies par quelques mois d’hiver et est devenu pour moi clairement le coup d’envoi de la saison. Vivement fin février 2017, pour ma part, Rise en 2017, ce sera à Bayonne ou Oloron.
Place à Pierre Monatte donc. Je lui ai posé quelques questions pour guider notre découverte de ce passionné de la mouche. Vous vous retrouverez certainement en Pierre : les vairons, les seaux de truites, “La pêche et les poissons”, le passage à la mouche, les piles de “Pêche mouche” et “Pêche sportive”, le no kill, les poissons sauvages, la qualité et la manière plus que la quantité, la grosse (truite;) sur laquelle on a échoué comme meilleur souvenir, les impressions, l’amour d’une rivière, les parfums, les couleurs et les transparences … Merci Pierre.
Fred : « Comment es-tu arrivé à la pêche à la mouche ? »
Pierre : « Je pêche depuis « toujours » : tout gamin, les vairons et les goujons occupaient les dimanche où nous allions pique niquer au bord de l’eau en famille. Mon père pêchait beaucoup à l’époque et je dois aussi confesser de nombreuses heures de pêche à la main : l’époque baignait dans un vrai espace de liberté et les préoccupations environnementales étaient loin de nous effleurer l’esprit. La rivière étaient généreuse et rétrospectivement, nous étions certainement au delà de l’inconscience : mon père et ses copains de pêche de l’époque louaient une ancienne ferme surplombant les gorges de la Loire. Tous les soirs de fin Juin à fin Août, pendant que le groupe de gamins, livrés à eux mêmes, vivaient des moments de totale liberté, les pêcheurs descendaient sur leur parcours du coup du soir et s’occupaient de remplir véritablement des « bennes » de truites. Alors tout l’été, on mangeait des truites, des truites, encore des truites, on aurait même pu tremper une truite beurrée dans le bol de chocolat du matin si on voulait ; des truites à ne plus pouvoir manger un poisson. J’ai vu la table et les bancs de la maison couverts de poissons, un spectacle absurde qui serait insoutenable aujourd’hui.
je devais avoir 8-9 ans, ce fut un coup du soir fabuleux sur le Haut Allier
À cette époque, la technique reine, c’était la noyée au buldo. J’ai donc fait mes classes avec un train de mouches noyées. Mon premier souvenir en noyée, je devais avoir 8-9 ans, ce fut un coup du soir fabuleux sur le Haut Allier. Fabuleux parce que les noms des coins de pêche qui alimentaient les conversations des adultes, entretenaient un espèce de fascination pour le gamin que j’étais et ce soir là, je descendais avec mon père au bord du mythique Allier à la Genestouze : une espèce de consécration, l’idée que moi aussi je devenais l’égal des meilleurs, l’égal de mon père et de ses copains.
D’entrée, je pris une espèce de gros chevesne, mais bizarre comme poisson, la bouche était très étroite pour un « blancart ». De toute façon, comme le poisson était gros et devait paraître encore plus gros dans mes yeux de gamin, je le mis dans mon petit panier en plastique et je rejoignait mon père qui devait déjà en être à trois au quatre truites : « un ombre !! » me félicita-t-il. « C’est un ombre, incroyable! »
Voilà comment année après année, j’ai appris à lire l’eau, à me positionner, à calculer la vitesse de dérive entre différentes veines, ce qu’on appelle le sens de l’eau : le « buldo » reste surement de ce point de vue une des meilleures écoles.
À 18 ans, j’achetais ma première canne à mouche …
Et puis à la fin des années 80 et dans les années 90, on se rendait bien compte qu’on ne connaîtrait plus cette période faste. À 18 ans, j’achetais ma première canne à mouche : je n’y connaissais rien mais cette pêche me fascinait : il n’y avait et encore aujourd’hui, il n’y a pas pour moi de manière plus belle et magique de prendre un poisson. J’achetais les hors séries « Mouche » de la revue « La pêche et les poissons » avant qu’ils ne deviennent la revue Pêche Mouche : ce fut ma bible. Le fait de conserver le poisson me posait de plus en plus problème. Et puis, je trouvais dans la lecture d’un tout nouveau magazine à l’époque : Pêches Sportives, un écho à ce qui germait dans mon esprit, une forme de responsabilisation du pêcheur au travers d’une liberté de parole et de ton jamais écrit auparavant. Cet esprit subversif collait parfaitement au caractère rebelle et libre qui m’animait et qui m’anime encore… Pêches Sportives était bimestriel à l’époque, s’il avait été mensuel, je crois que mon impatience aurait été la même à chaque sortie : j’ai tous les numéros depuis le premier et même si j’ai perdu un peu la flamme de l’époque, je continue à être abonné, c’est juste une forme de reconnaissance pour ce magazine à qui la pêche en France doit beaucoup. »
Fred : « Quels sont les 2 ou 3 conseils que tu pourrais donner à un jeune moucheur débutant ? »
Pierre : « Cela suppose que tu me prends pour une vieille main…alors qu’à chaque poisson je me vois débutant : c’est un des secrets à mon avis…
Alors 2-3 choses de « vieux »:
-Question d’époque d’abord : être au bord de l’eau, encore et encore. Laisser tomber un peu l’écran, Facebook et compagnie. La pêche, c’est sur la rivière.
-Ensuite pêcher en sèche : peu importe, truites, chevesnes, ablettes… Mais la sèche d’abord ! Trop de jeunes s’empressent de sonder les veines d’eau avec des enclumes, ça peut être certes productif mais ce n’est pas comme ça qu’on apprend à aller chercher une truite à 8 ou 10 m dans une retourne sous des branches de saules. Ce n’est pas comme ça qu’on apprend vraiment à lire la rivière : les insectes, les éclosions, le bon endroit, le bon moment, tout ce qui fait l’essence même de cette pêche.
-Et enfin, avoir confiance en soi, ne pas se décourager. La Mouche est une vraie école d’humilité, cela rejoint cette idée qu’il faut savoir se considérer comme un débutant face à chaque poisson. Même si les années te permettent d’aborder un poisson généralement d’une bonne manière (encore que …), rien n’est joué, la réussite est une addition d’éléments. »
Fred : « Quelle est ta rivière préférée en France ? Pourquoi ? »
Pierre : « On a tous Notre rivière, celle où l’on a nos repères, celle où l’on a grandi et qui nous a peut être grandi, celle où s’entremêlent tant de souvenirs : pour moi, La Haute Vallée de la Loire et ses affluents, mes racines.
Même de retour des plus belles rivières au monde, même blasé de poissons, je ne peux m’empêcher de retourner dans les coins qui m’ont vu grandir et progresser. Une truite, une vraie belle truite de la Loire vaut toutes les truites du monde… »
Fred : « Quelle est ta destination pêche préférée à l’étranger ? Pourquoi ? »
Pierre : « Aujourd’hui, plus qu’une destination précise, c’est un ensemble de critères qui vont dicter mes choix :
Tout d’abord, le caractère sauvage et libre des eaux est une priorité (ça limite tout de suite les choix chez nous …).
Ensuite pour la rivière, fario, grosse fario sauvage : exclusivement ! Je crois que c’est une des plus belles créatures que la nature puisse produire : je suis toujours émerveillé par la beauté et le mimétisme d’une vraie fario.
Enfin, pêche à vue : eaux limpides et pures !
Ces critères sont également réunis côté mer : j’ai eu le bonheur de pêcher des endroits du monde méconnus et préservés, chasser le bonefish comme un sioux basque qui remonte sa bordure…
Petite digression, j’en profite : beaucoup de destinations prisées aujourd’hui (et où j’ai trainé mes waders à une époque) semblent réunir les critères évoqués, mais par pitié, ne dites plus fario sauvage ou marmorata (j’ai les preuves) sauvages de Slovénie, Bosnie et tutti quanti…
De ce point de vue, j’ai 1000, 10 000 fois plus de satisfaction à rater une « léopard » de la Nive ou des Gaves qu’à sortir dix marmorata chaussettes des bassines balkaniques… »
Fred : « Quelle est ta mouche préférée ? Pourquoi ? »
Pierre : « Top secret !! Une de mes créations…
Juste quelques pistes : cette mouche est à réserver au mois de Juin lorsque les ecdyos font les pendules au dessus de l’eau. J’ai créé cette mouche il y a une bonne dizaine d’année suite à la lecture d’un bouquin extraordinaire, ce livre est sur ma table de chevet depuis quinze ans : « l’éphémère et la truite : la mouche inexacte » de Pierre Miramont, un immense pêcheur, un observateur hors pair dôté d’une capacité d’analyse peu commune et au-delà, surement un humaniste. Il y est question de couleurs, de textures, d’effets de transparence, de « hyalinité », tout un tas de caractère qui permettent de créer un message pseudo-olfactif, un pouvoir « phéromonal » (sans mauvais jeu de mot) … En toute modestie, cette mouche est incroyablement efficace: quelques copains pourraient en témoigner, j’ai même effectué quelques tests (comme Miramont), confirmant la supériorité de ce modèle sur d’autres combinaisons.
Je ne peux pas en dire plus, chacun doit à mon avis faire sa propre expérience dans ce domaine : rien n’est plus satisfaisant que de piquer de beaux poissons avec SA mouche, avec SA création, surtout si pendant ce temps les copains se ramassent… »
Fred : « Quel est ton meilleur souvenir de pêche à la mouche ? »
Pierre : « J’en ai pas mal à l’esprit mais le plus marquant et celui dont je rêve encore parfois, c’est un poisson que j’ai lamentablement raté. Ma fille a aujourd’hui 12 ans, il y a douze ans donc, je me lève très tôt pour le biberon de cette petite poupée qui avait tout juste un mois. Il devait être quatre heures du matin en cette journée de début Août. Le biberon vidé et le petit bout au lit, impossible de me rendormir : je prends les clés de la voiture, direction le Haut Lignon.
la rareté dans la rareté !
J’avais repéré quelques jours auparavant, sur les dires de mon copain garde-pêche, un gros poisson. A plusieurs reprises et en vain, j’avais tenté de trouver ce poisson en activité. Chez nous à cette altitude (1200m), des poissons de cette taille sont extrêmement rares et il est encore plus rare de pouvoir les tenter à la mouche : la rareté dans la rareté ! Une demi heure plus tard, la voiture garée après le pont, je ruminais en attendant que le jour se lève. À cet endroit, la rivière est un petit ruisseau de 2 ou 3 mètres de large mais le pont enjambe une fosse de 2 m de fond et les piles sont bâties sur des escarpements rocheux qui partent en sous cave où mon poisson devait certainement trouver refuge.
Elle était là, juste sous la surface …
Le vent du Sud commençait à se lever en même temps que les premières lueurs apparaissaient. À la pointe du jour, il y a un moment très bref où l’on a l’impression que l’eau est « huileuse », l’impression que le courant se ralentit. C’est un moment étrange lié surement à la luminosité qui ne permet pas de distinguer nettement les contrastes. Alors, juste au dessus du petit pont, en plein milieu de la veine d’eau, je vis une drôle de forme qui ponctuellement émergeait de cette « huile ». Une branche ? Un bout de bois coincé dans le fond de la veine et qui ondulait au gré du courant ? La lumière augmentait un peu et là, plus de doute : énorme, le bout de bois était en fait sa caudale qui de temps à autre trahissait sa présence. Elle était là, juste sous la surface et elle se goinfrait dans la veine, surement des chiros vu le rythme et la discrétion des gobages.
Je me décalais légèrement à gauche pour ouvrir mon angle d’attaque, mais j’étais en surplomb juste à côté du pont. Je savais que je n’aurai pas souvent l’opportunité d’attaquer en sèche un tel poisson chez moi : la pression ! C’est terrible la pression, ça peut te faire perdre tout tes moyens. Elle aurait fait trente centimètres de moins, je ne me serais pas torturé l’esprit comme je l’ai fait : tu parles, au premier lancer : hop ! Terminé! Dans l’épuisette.
ces poissons ne sont pas gros pour rien…
Premier lancer : trop court, p… de vent de face ! Deuxième lancer : trop court, p… de p… de vent !! Troisième lancer : elle est où ? Elle est passée où ??
Et voilà : le jour pointait un peu trop, la lumière lui a rappelé l’heure d’aller faire dodo : ces poissons ne sont pas gros pour rien…
Pour terminer l’anecdote, quinze jours après cette terrible désillusion, on avait une pêche électrique sur une station située juste en aval du trou. À la fin de la pêche, on n’a pas pu s’empêcher d’aller voir: sous cette dalle, je me souviens de plusieurs dizaines de poissons entre 20 et 25 centimètres, de trois poissons entre 35 et 40 cm et d’un poisson tout cabossé par les années : 58 cm, deux kilos… »
Fred : « Depuis le début de l’aventure Rise, à part tes productions, quel est pour toi le meilleur film de pêche projeté ? Pourquoi ? »
Pierre : « Pas vraiment d’hésitation : Jungle Fish que l’on avait au programme de l’édition 2013.
Tout d’abord, le film est vraiment bien construit : il s’agit de la traque à la mouche du plus gros poisson d’eau douce au monde. On ne découvre réellement ce poisson qu’à la fin du film : le suspens est vraiment bien rendu et le film va crescendo, du grand art !
Ensuite, le message véhiculé est incroyablement positif : comment des peuplades de la forêt tropicale du Guyana vont échapper à tous les vices de nos sociétés pourries par l’argent et le pouvoir ; comment grâce à la pêche à la mouche, il vont échapper à la drogue, à l’alcool, à la prostitution, à la fièvre de l’or en créant un vraie ressource économique autour d’un tourisme écolo-responsable… »
Fred : « Que peux-tu dire aux lecteurs de la-Peche-a-la-Mouche.com sur le Rise 2017 ? »
Pierre : « … de ne surtout pas rater le festival !!
Le programme de cette année me semble vraiment bon : je dis ça chaque année mais je pense qu’il y a année après année, un niveau de qualité qui augmente. Les réalisateurs qui proposent leur film aujourd’hui mettent les moyens et l’expérience partagée des uns et des autres contribue certainement à produire des films bien construits, bien pensés et bien faits.
Et puis parmi ces réalisateurs, on est deux français cette année : alors venez voir de vrais beaux films made in France (c’est à la mode…) ! »
Fred : On y sera Pierre, on y sera !!!
Merci à Pierre pour ce bon moment à lire ses souvenirs, ses mots de passionnés. Faites comme moi : un petit mot d’encouragement en commentaire en bas de cette page. Il y sera sensible, c’est quand même lui qui ouvre notre saison de pêche à la mouche depuis des années avec le Rise non ?
Et au milieu coule la Loire … et rêve un pêcheur … Pierre …