Le soleil vient de se coucher, tout est calme … Mon pote le chevreuil, un habitué du lieu, ne fait pas cas de ma présence et grignote les branches basses de la végétation rivulaire, juste face à moi. Seules quelques truitelles gobes bruyamment de ci de là . Comme la plupart de journées de cette fin de saison, il n’y a pas eu d’activité de surface sur la Grande Nive, tout ce jouant au coup du soir. Au coup de la nuit devrais-je dire. Elles vont encore sortir ce soir, j’en suis sûr. Je les attends … les truites aussi. Dans quelques minutes va commencer l’émergence d’une éphémère très particulière … oligoneuriella rhenana …
L’oligoneuriella : il neige en plein mois d’août !
Je n’avais jamais vraiment remarqué cette manne blanche (1) les années précédentes. Peut-être à cause des spots que je pratique habituellement, plutôt des grands lisses, des bordures calmes … Cette éphémère possède un cycle de vie aérien très court, et très remarquable. Remarquable par sa grande taille et son aspect massif. Remarquable par sa tonalité, très claire, presque fantomatique. Remarquable par son vol horizontal très rapide de l’amont vers l’aval, et vice versa. D’abord une ou deux, puis des dizaines, des centaines. Des grosses, les femelles, poursuivies par des nuées de mles, plus petits. L’accouplement a lieu en l’air, les oeufs fécondés sont ensuite déposés par la femelle à la surface de la Nive, comme un canadair chargeant son eau. Une fois son devoir accompli, elle se laissera choir pour rejoindre les nombreux mles qui agonisent déjà à la surface et dérivera dans le courant jusqu’à ce qu’une gueule affamée la gobe violemment. Nous sommes fin août, et les truites, invisibles la journée, vont se réveiller en même temps que le cycle aérien des oligoneuriella. Une aubaine durant l’été alors que les mouches sont plutôt petites, et rares la journée, sauf retombée de fourmis.
Photo d’un spent d’oligo :
et d’une probable exuvie de l’oligoneuriella :
Ces retombées massives, un peu comme s’il neigeait à l’horizontale, provoquent une belle activité des truites. D’abord sur les émergentes, plein courant, dans les accélérations notamment (ou vit cette éphémère au stade de nymphe). Puis, quelques imagos se feront croquer en plein vol, essentiellement par de petites truites. C’est surtout au stade de spent que l’oligo déclenchera la folie chez les poissons. Truites, vandoises, et aussi barbeau, j’en taperai un dans le noir, combat qui me fera penser à un saumon durant quelques minutes.
Quelle imitation pour l’oligoneuriella rhenana ?
Alors quelle imitation utiliser ? Un sedge clair ? non, aucune montée … Un grand spent très clair ? Essayé, rien de concluant (corps trop fin je pense). Un gros cul de canard clair ? Oui, faute d’une imitation plus réaliste. Lors des dernières parties je pus essayer un montage mis au point après avoir bien observé les spents. Des ailes à plat ou presque, de forme delta, en cul de canard blanc ou gris très clair, un corps court et large en matériaux plastique transparent, cerclé de vert olive, sur un hameçon fin de fer (103 BL N° 11 ou SLD N° 10). Un thorax clair de gros poils de lièvre, soutenu par quelques tours de coq crème, coupé à plat sous l’hameçon. En résumé, une bonne grosse mouche très claire, qui flotte bien, qui se voit bien. Il faut en effet pêcher un peu -trop- tard, presque à la nuit dans ces parties encaissées de la Nive.
Ma proposition d’imitation :
Elle est améliorable :
- corps plus renflé et plus court
- cerclage plus discret (olive plus clair)
- cerques plus courts (mais un peu long, ils tiennent mieux la surface)
- couleur des ailes en cul de canard : pourrait être plus grise, mais le blanc se voit plus longtemps au crépuscule. Lors de leur vol nuptial, les oligoneuriella paraissent plus claire que ne laisse croire leur spent, avec des ailes diaphanes grises.
Je me suis régalé de ces rendez-vous nocturnes. Trop brefs la plupart du temps, à cause du cycle court entre l’émergence et la retombée des spents, mais surtout à cause de la tombée de la nuit. Je pris ces soirs-là quelques truites, pas des monstres, 38 cm maxi si je me souviens bien. Mais quel plaisir que ces parties de pêche du soir. Seule la pêche à la mouche me met dans cet état de fusion avec la nature. Se fondre dans le rythme des choses, dans la nature … et au milieu coule la Nive, encore et toujours ..
Ah la magie de la manne blanche ! … vivement 2014 … ! …
(1) le terme “manne blanche” désigne aussi une autre éphémère : le Polymitarcis virgo, très proche de l’oligoneuriela rhenana.